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み ou l'expression de la chair et de l'individu
Je vous ai déjà parlé de ma façon d'envisager le japonais comme une langue orale, parce qu'en apprenant à le parler avant de savoir l'écrire, comme un enfant japonais d'une certaine façon, j'ai pu trouver certains liens intéressants entre des mots différents ayant la même prononciation.
Pour moi, le japonais est une langue orale dont certaines subtilités ont été montrées ensuite grâce à l'introduction de l'écriture des kanjis, rendant sa poésie plus complexe et subtile et facilitant les liens de double sens et l'imagination.
Je trouve que l'oral et l'écrit de cette langue se combinent de façon élégante et magnifique pour la transformer en joyau sculpté et je n'entends absolument pas les réflexions de ceux qui se plaignent de la complexité des caractères sino-japonais, et ce même si j'admets volontiers que cela soit difficile et prenne un temps considérable à mémoriser.
Attention, je ne dis absolument pas non plus que le japonais est une langue «floue» comme j'ai pu l'entendre parfois. C'est une langue incroyablement précise et la traduction ne se fait pas au hasard entre plusieurs possibilités de probabilité égale au niveau du sens et nécessitant une interprétation arbitraire du contexte comme on pourrait être tenté de le croire en lisant certains raccourcis.
Le japonais est donc une langue qui utilise des mots semblables pour un grand nombre de choses (ce qui ne signifie pas qu'on peut les confondre).
Il se trouve que, parfois, ces mots semblables sont utilisés pour décrire des réalités que l'on peut subsumer sous le même concept et, parfois, pour distinguer des réalités que l'on croirait a priori identiques.
Exactement comme il m'arrive souvent d'utiliser un papier et un crayon pour soutenir mon discours par le dessin, la langue japonaise a tout naturellement dans sa nature même un arsenal de dessins très élaborés et permettant la rêverie et les liens entre les idées, qui plus est de façon on ne peut plus synthétique et, littéralement, sautant aux yeux.
Pas étonnant dans ces conditions qu'un poème puisse être complet avec ce rythme très court de 5-7-5 syllabes, qui sont en fait 5-7-5 caractères (ou lettres!) en japonais. Essayez de chanter une poésie avec l'air suivant:
sol fa mi ré do
do ré mi fa sol la si
sol fa mi ré do
en y mettant un sens imagé en français. Peut-être est-ce une des raisons (ou l'oubli du rythme et de la musicalité du poème? je ne pense pas, même en poésie française, le rythme est important) pour lesquelles le haïku, en français, ne se tient pas au rythme 5-7-5 syllabes, mais tâche plutôt de se limiter à deux «lignes» ou vers. Nous avons besoin de plus de mots pour nous exprimer et nous faire comprendre de façon aussi poétique et nos mots sont en général plus longs.
Donnons aujourd'hui pour exemple de cette nature à la fois synthétique et analytique (comme j'aime ♡) le mot prononcé «MI», écrit み en hiragana, donnant 13 résultats de vocabulaire dans e-dict à ce jour et 92 résultats de kanji (mais, si tous utilisent le son «mi», tous ne sont pas composés uniquement de cette syllabe) et 25 propositions de la part de mon dictionnaire de translittération (j'écris み et il me propose 25 façons de l'écrire autrement).
Donc, vocabulaire: 13 résultats. Je vous propose d'en faire l'inventaire avant d'extrapoler sur les liens que l'on peut en tirer.
1/ 三 signifie trois (le nombre 3)
2/ 水 signifie eau, liquide, fluide
3/ 海 signifie mer
4/ 身 signifie chair, corps, personne (individu), soi-même, partie principale (contrairement aux os ou à la structure, par exemple ou bien le contenant par rapport à son couvercle ou encore la lame par rapport à son manche)
5/ 実 signifie fruit en général, souvent petit fruit (baies, noix, graines...), contenu, substance ou encore résultat (d'une activité économique)
6/ 未 (caractère aussi utilisé parfois pour «mouton») signifie «pas encore», c'est un préfixe de négation
7/ み à la fin d'un mot est un suffixe de nominalisation, il transforme un adjectif en nom (ou en item, en individu donc, si l'on veut bien), il «révèle», il implémente en quelque sorte. Il peut aussi transformer un mot en désignation de lieu, le lieu où apparaît le phénomène dont on parle. (tanoshii -> tanoshimi, hosoi -> hosomeru)
8/ 味 (qui n'est pas sans rappeler la forme présentée en 6/) signifie le goût. Ce caractère est aussi utilisé pour compter ce qui se mange/boit/avale (nourriture, boisson, médicament)
9/ 巳 représente le Serpent, sixième signe du zodiaque chinois (ね うし とら う たつ 巳 うま...) et, par conséquent, la période de temps entre 9 et 11h le matin ainsi que la direction sud-sud-est.
10/ ミ la note de musique (mais je ne vais pas l'utiliser dans cet article parce qu'elle vient de l'occident, même si les Japonais ont l'art et la manière de japoniser les mots qu'ils choisissent d'introduire dans leur langue)
11/ 見 signifie regarder, voir (voir ce qui a pris une apparence, une existence)
12/ 深 ou 美 ou encore 御 signifie la mois d'août et la beauté
13/ 箕 signifie vannage, van (action de ou outil pour séparer la balle du grain [W.en] ou, pourrait-on dire, de séparer le fruit, la partie principale, de son enveloppe ou partie secondaire/ossature mais j'anticipe déjà sur mon interprétation.)
Tags : lien oral/écrit, haïku, vocabulaire, compréhension du japonais